Comment le Luxembourg réécrit l'architecture numérique de l'État

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Dans une interview accordée aux Échos des entreprises, la ministre de la Numérisation Stéphanie Obertin dévoile les plans ambitieux du Luxembourg pour créer un nouveau modèle numérique d'interaction entre les entreprises et l'administration. Au cœur de cette transformation se trouve le projet de loi 8395, qui formalise le principe du "Once Only", selon lequel les entreprises ne fournissent à l'État des informations qu'une seule fois, plutôt que chaque fois qu'elles sont demandées.
Parallèlement, un espace professionnel certifié est créé sur la plateforme MyGuichet.lu, qui servira de base à l'identification numérique des entreprises dans le cadre du règlement européen eIDAS. Cela permettra aux entreprises d'utiliser le portefeuille EUDI, un portefeuille électronique qui donne accès aux services publics dans l'ensemble de l'UE sur un pied d'égalité. Toutefois, cela nécessite un centre de stockage de données fiable, qui est actuellement en cours de construction par le CTIE (Centre pour les technologies de l'information de l'État).
L'IA, un accélérateur, mais pas un substitut
M. Obertin souligne que l'intelligence artificielle n'est pas seulement souhaitable, mais essentielle pour la prochaine étape de la numérisation. Son application commencera par la recherche intelligente d'informations, particulièrement utile pour les entrepreneurs confrontés à des labyrinthes bureaucratiques. L'IA permettra ensuite d'automatiser le traitement des documents, de la classification à l'extraction des données, comme dans les déclarations fiscales.
A un stade plus mature, la technologie pourra aider à la prise de décision, par exemple dans la sélection des demandes de subventions, sans remplacer les humains, mais en offrant des recommandations éclairées. Tout cela nécessite des contrôles éthiques clairs, la transparence des algorithmes et la protection des données personnelles - des principes sur lesquels le Luxembourg ne reculera pas.
Le deuxième pilier de la loi 8395 est la réutilisation des données du secteur public par les entreprises privées, en particulier les petites et moyennes entreprises. Cette mesure est liée à la mise en œuvre de la loi sur la gouvernance des données et vise à accélérer le développement de l'économie des données.
Un système centralisé d'autorisation des données sera mis en place pour le contrôle et l'autorisation d'accès, sous la responsabilité du commissaire à la protection des données de l'État. Il aura pour mission de traiter les demandes et de protéger les droits des citoyens. Pour instaurer la confiance, le CTIE pourra faire appel à des tiers de confiance externes. La plateforme s'appuie également sur le Luxembourg National Data Service, qui soutiendra techniquement les processus.
L'innovation y est considérée comme le résultat de la collaboration entre les agences gouvernementales et les entreprises privées, où les données sont le carburant des solutions en matière d'IA, de logistique, d'urbanisation et de soins de santé.
Trois stratégies nationales : données, IA, quantique
Lors de la réunion de mars du Haut comité à la transformation numérique, trois stratégies nationales ont été présentées - sur l'IA, les technologies quantiques et les données. Leur mise en œuvre est coordonnée par quatre structures à la fois : du ministère de l'économie à la direction du numérique. Tous les documents sont en phase finale et seront présentés au Conseil de gouvernement à la mi-2025.
La discussion implique non seulement des fonctionnaires, mais aussi des représentants du monde scientifique, des entreprises et de la société, ce qui est important pour créer une politique transversale et non isolée.
Martine Reicherts, présidente de la Fondation nationale pour la recherche (FNR), a déjà souligné que si l'on ne surmonte pas les barrières organisationnelles entre la science, le gouvernement et les entreprises, le pays ne pourra pas aller de l'avant. Stéphanie Obertin abonde dans ce sens : la coordination est nécessaire pour que la recherche devienne une innovation.
Le Tech Transfer Strategy Group (TTSG), un groupe de travail réunissant le ministère de l'économie, le ministère de l'éducation, Luxinnovation et les instituts de recherche publics, a été créé dans cette optique. Le groupe développe des mesures pour améliorer le transfert de technologie et créer des spin-offs scientifiques.
Il existe déjà des cas concrets : en 2022, un concours conjoint dans le secteur de la défense a été lancé - sur 13 projets, la plupart sont mis en œuvre en coopération entre des chercheurs d'entreprises et de gouvernements. En 2024, le format est élargi : le soutien est désormais axé sur la mobilité intelligente et la résilience climatique.
L'État réforme les mécanismes de soutien à la recherche, en renforçant le système de subventions et de projets conjoints. L'accent est mis sur les consortiums multilatéraux, où une université, une startup et une agence gouvernementale peuvent participer à la même application. L'acteur principal reste la Fondation nationale pour la recherche (FNR), dont les priorités seront mises à jour en fonction des tendances technologiques.
Les institutions publiques de recherche doivent adapter leurs stratégies pour répondre à la politique de diversification économique. Cela implique de revoir régulièrement les orientations, en particulier dans les domaines où le Luxembourg peut devenir un leader - de l'informatique quantique à la gestion des données souveraines.
L'un des principaux obstacles reste la disparité des règles en matière de propriété intellectuelle. Afin de rendre le processus compréhensible pour les entreprises et les chercheurs, le gouvernement prévoit d'unifier les approches, tant en ce qui concerne les droits d'auteur que la répartition des bénéfices tirés des licences et des brevets. Il sera ainsi possible de savoir clairement à qui appartient le résultat et comment il peut être cédé.
Le TTSG est également chargé d'éliminer ces obstacles. Il ne s'agit pas seulement d'augmenter le nombre de brevets, mais de transformer les idées en entreprises opérationnelles, notamment grâce au financement par capital-risque. Comme le fait remarquer M. Obertin, "l'inventeur n'est pas toujours le meilleur entrepreneur" - la commercialisation nécessite parfois une équipe extérieure, et pas seulement à l'intérieur du laboratoire.